Du 05 au 10 juin 2000, la ville de Kisangani était victime de la folie meurtrière des armées rwandaise et ougandaise
Le 13ème anniversaire de la guerre de six jours a été placé sous le signe de devoir de mémoire
La ville de Kisangani a commémoré cette année le 13ème anniversaire de la guerre de six jours. Celle-ci avait opposé, du lundi 05 au samedi 10 juin 2000, en plein chef-lieu de la Province Orientale, les armées régulières étrangères rwandaise (Armée Patriotique Rwandaise, APR) et ougandaise (Uganda People's Defense Force, UPDF).
Contrairement aux 12 années antérieures, cette année, les activités se sont étendues sur six jours, le temps qu'avaient duré les hostilités entre les deux belligérants soutenus respectivement par les rébellions du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) et du Mouvement de Libération du Congo (MLC).
Chapeau bas au Comité d'Action de la Société civile pour l'accomplissement des victimes des guerres de Kisangani et au Centre International pour la Justice Transitionnelle (ICTJ) dont deux délégués étaient dépêchés de Kinshasa pour la circonstance. Tous n'ont ménagé aucun effort pour que ce triste 13ème anniversaire soit différent des précédents. Ainsi l'ont-ils placé sous le signe de devoir de mémoire.
Plusieurs activités ont été organisées par le Fonds de Solidarité des Victimes des Guerres de la Province Orientale (FSVGPO) et le Comité d'Action de la Société civile de Kisangani (CASCK) avec l'appui d'ICTJ : Conférences-débats, émission radiotélévisées, exposition des photos souvenirs et tout autre objet, projection des extraits de film et témoignages poignants et bouleversants, focus group etc.
Le point culminant a été la visite du cimetière de la guerre de six jours situé derrière l'Hôpital général de Référence de Kisangani le lundi 10 juin 2013 où des gerbes de fleurs ont été déposées par MM. Bernard Kolombola et Pierre Kibaka, représentant respectivement les victimes de la guerre de six jours et la Société civile, sous l'agrémentation de la fanfare Kimbaguiste dans une procession. Une exposition des photos souvenirs y a été faite.
Dans leurs messages, les Présidents du FSVGPO et du Groupe Justice et Libération au nom de la Société civile ont réclamé l'indemnisation des victimes. Ils ont exhorté les habitants de la ville de Kisangani de protéger ce lieu contre la spoliation et tout acte de barbarie car l'idéal est qu'il y soit érigé et un mémorial en mémoire de nos frères, sœurs, pères, mères,… morts innocemment, eux qui n'avaient fait du mal à personne. Que la justice leur soit rendue en punissant les auteurs, co-auteurs ainsi que leurs complices de ces actes ignobles.
Signalons que le mercredi 05 juin 2013, le député national élu de la ville de Kisangani, l'honorable Jean-Pierre Daruwezi Mokombe et le maire de la ville, Augustin Osumaka Lofanga avaient aussi déposé des gerbes de fleurs au même lieu. Eux aussi avaient condamné fermement cette guerre.
Le film des événements narré
Dans son exposé intitulé « La ville de Kisangani face à son passé : chronique d'une longue histoire de graves violations des droits de l'homme », le mercredi 05 juin 2013 au Restaurant La Fourchette Boyomaise, Pierre Kibaka Falanga, Président du Groupe Justice et Libération a rafraichi la mémoire des Boyomais sur la guerre de six jours de Kisangani. Celle-ci était déclenchée le lundi 05 juin 2000 à 9H45 pendant que les gens étaient aux services, les vendeurs et vendeuses au marché, les élèves à l'école…Une heure après, il y a eu coupure de l'eau et du courant à partir de la Centrale hydroélectrique de la Tshopo.
Durant six jours et six nuits sans répit, les habitants de la ville de Kisangani ont vécu une semaine cauchemardesque. Les militaires rwandais et ougandais ont fait usage de toutes sortes d'armes lourdes à longue portée et légères. Ils ont largué plus de 6600 bombes sur la ville martyre.
Bilan : plus de 1000 morts ramassés par la Croix-Rouge de la RDC et inhumés au cimetière créé pour la circonstance baptisée cimetière des victimes de la guerre de six jours, des maisons détruites, des infirmes et handicapés mentaux par milliers. Le recensement réalisé quelques mois après ces événements malheureux a dénommé 3223 veuves, veufs, orphelins et orphelines, infirmes, personnes ayant perdu leurs proches et biens. Certains sont déjà décédés sans être indemnisés, selon le Président du FSVGPO, M. Bernard Kalombola.
La commune Tshopo où s'étaient concentrés les combats avait payé le plus lourd tribut. C'est là où l'on a compté le plus grand nombre de dégâts humains et matériels.
Bloqués au centre-ville (commune Makiso), le principal centre d'activités et par-ci par-là, des milliers de personnes ont regagné leurs domiciles à partir du 10 juin 2000. La plupart d'entre-elles ont trouvé des quartiers vidés de leurs habitants pour s'éloigner de la zone de combats pour se retrouver même dans leurs villages d'origine. Ceux de la commune Tshopo ont traversé la rivière du même nom (nord) pour prendre la route Buta ; ceux de Mangobo ont traversé la rivière Lindi, ceux de Kisangani et Kabondo se sont réfugiés dans des forêts environnantes, ceux de Lubunga ont pris le chemin des routes Opala et Ubundu ou se sont dirigés en amont du fleuve Congo. Dans les quartiers, les cadavres ont jonché les rues ou cachés dans les décombres des maisons.
Pierre Kibaka a profité de l'occasion pour rappeler d'autres événements tragiques ayant endeuillé la ville de Kisangani depuis 1960. Il s'agit notamment de la rébellion muleliste en 1964 commencée au Bandundu pour créer plus de dégâts à Kisangani, le mercenariat de Jean Schram et Bob Denart en 1967, le mercenaire Yougouslave Hugo en 1997 lors de l'avancée de l'AFDL, les guerres d'un jour, deux jours, trois jours entre les militaires rwandais et ougandais à chaque fois qu'ils se rencontraient.
Tous ces événements ont constitué de graves violations des droits de l'homme. La ville de Kisangani a connu des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
La leçon à tirer est que jusqu'à ce jour, les victimes de la guerre de six jours attendent réparation qui tarde à venir, a plaidé Pierre Kibaka. Et de se poser la question : « Pourquoi toute guerre doit toujours arriver et s'enraciner à Kisangani ? ».
Les anniversaires dans l'indifférence de Kinshasa
Il convient de rappeler que si les hostilités avaient pris fin le 10 juin 2000, c'était à la demande des Présidents rwandais Paul Kagame et ougandais Yoweri Museveni qui se la coulaient douce dans un pays africain pour décider du sort des Congolais. Sinon, elles allaient se prolonger par la seule volonté de ces deux chefs d'Etat aux visées hégémoniques et éblouis par les richesses du sol et du sous-sol de la RD Congo.
La guerre de trois jours avait contraint le Conseil de Sécurité des Nations Unies à prendre la Révolution 1304 démilitarisant la ville de Kisangani. Et à la guerre de six jours, il a reconnu enfin l'agression de la RD Congo par le Rwanda et l'Ouganda. Le Président congolais, Laurent Désiré Kabila en profita pour ironiser : « Enfin, les aveugles ont vu ». Etant donné que la Communauté internationale se refusait toujours d'accréditer la thèse de l'agression que défendait le gouvernement de Kinshasa.
Qu'on le veuille ou non, ce sont les guerres de Kisangani qui ont donné un tournant décisif aux pourparlers entre le gouvernement de Kinshasa et les rébellions, lesquels ont abouti aux négociations et à l'Accord global et inclusif de Sun City en Afrique du Sud de 2002 et, par ricochet, à la réunification du pays après 4 ans de partition de fait.
Mais, le 13ème anniversaire, à l'instar des 12 premiers, s'est passé dans une indifférence quasi-totale du gouvernement central. C'était une affaire de la seule ville de Kisangani et de ses organisations de défendre des droits de l'homme qui ont bénéficié de l'appui moral appréciable de l'ICTJ.
Au moment où le Rwanda est en train de vendre ses morts suite au conflit rwando-rwandais (génocide de 1994), la RD Congo s'en passe de ses victimes, œuvre entre autres du même Rwanda.
Tenez.
En 2006, avant les élections, le cimetière des victimes de la guerre de six jours a été vandalisé par des inciviques qui avait arraché presque toutes les croix dans le but d'effacer les traces.
Ce cimetière où reposent des centaines de morts gratuits dont des familles entières a échappé de justesse à la spoliation n'eût-été le maire de la ville avec son initiative de le clôturer.
Les anniversaires de cette cruauté sont commémorées dans l'indifférence quasi-totale du gouvernement central qui, en principe, devait en faire son affaire pour attirer l'attention de la communauté internationale et interpeller les pays auteurs de ce massacre en l'occurrence le Rwanda et l'Ouganda.
Depuis le débordement de la marche des étudiants de Kisangani le 20 novembre 2012 contre la prise de la ville de Goma par le M-23, les autorités urbaines ont la phobie des manifestations publiques. Plusieurs marches ou carnavals ont été interdits. La marche commémorative qui devait avoir lieu le lundi 10 juin 2013 à partir du centre-ville jusqu'au cimetière de la guerre de six jours sous l'agrémentation de la fanfare de l'Eglise Kimbanguiste a été tout simplement annulée.
Raison pour laquelle les thèmes « Mémoire, commémoration et recherche de la vérité : outils de réfection d'une société brisée par la violence » et « Effectivité de droit à la réparation » présentées le mercredi 05 juin 2013 au Restaurant La Fourchette Boyomaise ont valu tout leur pesant d'or.
Dans le premier thème, M. Godefroid Mpiana, Chargé de Programme Formation et Renforcement des capacités à ICTJ a estimé que les blessures individuelles ou sociétales peuvent s'avérer préjudiciables. Après la guerre, il faut refaire les liens sociaux, guérir les blessures morales subies par les victimes.
Depuis 1997, a-t-il déploré, il y a eu de graves violations des droits de l'homme par les guerres. Celles-ci sont de plus en plus banalisées. A cette allure, la violence et l'impunité seront totales. Il est temps pour nous de « nous refaire une remise en question ».
Selon lui, le rôle de la mémoire doit permettre à la population d'avoir conscience, de concilier le passé avec le présent pour rendre service aux générations futures. Et d'exhorter : « La mémoire nous permet de faire notre identité, de corriger les erreurs du passé. Que les jeunes puissent connaître ce qui s'est passé à Kisangani et dire à la fin Plus jamais ça ! ».
Pour ce délégué d'ICTJ, si la population fait la violence à répétition, c'est parce qu'elle ne fait pas le travail de mémoire. Avant de s'interroger pourquoi cette répétition cyclique de violations des droits de l'homme à Kisangani ? Cacher les erreurs, c'est condamner les générations futures à revivre les mêmes erreurs.
Dans le deuxième thème, Guy Mushiata, Chargé de Programme Lutte contre l'Impunité et Justice transitionnelle à ICTJ a précisé que la réparation peut être individuelle ou collective, matérielle ou symbolique. Pour la réparation symbolique précisément, il s'agit par exemple, des excuses publiques présentées aux victimes par le président de la République au nom de l'Etat.
S'agissant de celui qui doit payer les réparations, l'orateur a cité l'Etat car il est le responsable de violations graves commises sur sa population qu'il a l'obligation de protéger.
En ce qui concerne les 10 milliards de dollars américains que l'Ouganda doit verser pour indemniser la ville de Kisangani conformément à un arrêt de la Cour Internationale de Justice, c'est le gouvernement congolais qui doit exercer une pression sur ce pays, a dit Me Guy Mushiata.
Le gouvernement provincial s'engage
Le Vice-gouverneur de la Province Orientale, qui a lancé les activités commémoratives le 05 juin 2013 au Restaurant La Fourchette Boyomaise, a invité la mémoire collectivité de se souvenir encore de ces jours où la ville de Kisangani a été mise à feu et à sang par la folie de deux armées étrangères en complicité avec des compatriotes congolais en mal de positionnement.
Pour Pascal Mombi Opana, après 13 ans, les stigmates de cette guerre sont encore visibles et s'observent chez certaines personnes et certains édifices et ont eu des conséquences sur les plans politique et environnemental. Il a cité quelques volets de ces affrontements : attaques systémiques sur la population civile, pillage de biens publics et privés et violences sexuelles, destructions méchantes des biens publics et privés, etc.
L'autorité provinciale a salué la démarche de la Société civile de se constituer en collectif d'accompagnement des victimes de la guerre de six jours et ICTJ pour son assistance juridique et psychosociale.
A propos de l'indemnisation de la RD Congo en général et de la ville de Kisangani en particulier, Pascal Mombi estime que la responsabilité se situe à plusieurs niveaux : provincial, national, régional et international. Quant au gouvernement provincial, en collaboration avec la Société civile qui dispose d'une bonne base de données, s'engage à ne ménager aucun effort pour cette fin. « La justice doit être rendue pour honorer dignement nos compatriotes qui ont perdu leurs vies, leurs biens, les leurs pendant cette guerre.
Le vice gouverneur Pascal Mombi a émis le vœu de voir ceux qui ont été impliqués de loin ou de près dans ces ignobles actes qui ont endeuillé la Province Orientale et la ville de Kisangani être poursuivis.
Nous avons le devoir moral et patriotique de rappeler régulièrement ces événements pour rafraichir la mémoire des Congolais et particulièrement des Boyomais et pour la consommation des générations futures.
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