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Une bonne photo, comme on le sait, vaut tous les discours. Celle qui a fait la une du New York Times, jeudi dernier, pourrait aussi valoir des centaines de votes au Congrès.
Extraite d'une vidéo sortie secrètement de Syrie, elle montre des combattants qui se préparent à tuer sept soldats syriens prostrés et terrifiés, les dos nus et striés de coups, les mains attachées derrière le dos, pendant qu'un commandant rebelle profère des cris de vengeance. Voilà les extrémistes islamistes que les États-Unis soutiendraient, semble dire cette photo avec une crudité qu'aucune parole ne pourrait égaler, si l'Administration Obama mettait à exécution sa menace de frapper le régime d'Assad. Qui sait si cette photo n'aura pas le pouvoir de faire pencher la balance dans les prochains débats au Congrès ; qui sait si elle n'aura pas pour conséquence de saper non seulement la politique étrangère d'Obama pendant le reste de son mandat, mais le rôle même des États-Unis dans l'ordre mondial existant ?
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- Out of America : Une horrible vidéo de rebelles islamistes assassinant des soldats syriens suscite de nouvelles questions sur la position des États-Unis
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J'exagère ? je ne crois pas. Le sommet sous tension du G 20 de la semaine dernière près de Saint Pétersbourg en Russie - pendant lequel il a passé plus de temps au téléphone avec les Sénateurs et les membres du Congrès qu'avec les autres dirigeants présents sur place - n'a été que le début. Il ne fait pas de doute que les jours qui viennent seront les plus importants de la présidence d'Obama. Demain, le Sénat ouvre son débat sur la résolution autorisant les frappes pour punir le régime d'Assad pour son utilisation présumée d'armes chimiques contre ses propres citoyens. Mardi soir, dans un discours à la télévision, Obama tentera de convaincre le pays du bien fondé des frappes, et d'ici là la Chambre des Députés pourrait avoir pris sa propre décision sur la question.
Deux votes sur lequel il a parié, semble-t-il, toute sa présidence et ce qu'il en restera dans l'histoire. Il aurait pourtant pu en être autrement. Quand Obama a annoncé la semaine dernière qu'il avait décidé de procéder à des frappes ciblées d'installations gouvernementales syriennes, mais qu'auparavant il rechercherait l'approbation du Congrès, il mettait la charrue avant les bœufs.
Les déclarations de guerre formelles sont exceptionnelles dans l'histoire étatsunienne ; les dernières ont été contre le Japon, l'Allemagne et l'Italie pendant la seconde guerre mondiale. En réalité, un commandant en chef n'a nul besoin de la permission du Congrès pour utiliser la force. Ce qui se passe généralement - comme ce fut le cas pour la résolution fatale du Golfe du Tonkin en 1964 qui a conduit à la guerre du Vietnam, et plus récemment de la résolution autorisant George W Bush à envahir l'Irak - c'est qu'une autorisation de portée générale est donnée quelque temps avant l'opération.
Deux ou trois fois (lors des frappes aériennes de 1999 contre la Serbie et lors de l'extension de l'implication étatsunienne dans la campagne de 2011 contre Mouammar Kadhafi en Libye) le Congrès a voté contre des opérations militaires. Mais Bill Clinton, dans le premier cas, et Obama, dans le second, l'ont fait quand même. Cette fois, cependant, Obama cherche à obtenir un soutien précis et spécifique d'une brève campagne largement symbolique, une campagne qui n'est pas destinée à renverser le régime d'Assad mais simplement à "donner un coup de semonce", sans envoyer un seul Etatsunien sur le terrain en Syrie.
Ou plutôt c'est comme ça que ça devrait se passer. Mais un pays qui en a assez des guerres - en particulier des guerres par choix dans un Moyen-Orient déloyal et ingrat où les États-Unis n'ont aucun intérêt direct - ne croit plus à cette rhétorique. Comme en Angleterre, l'Etatsunien moyen n'a pas oublié le fiasco des services secrets à l'origine de la guerre d'Irak. Et que se passerait-il si Assad ou ses alliés ripostaient ? Les États-Unis ne seraient-ils pas entraînés dans un conflit plus important qui verrait la menace de désintégration régionale devenir réalité ?
Obama lui-même est conscient que, malgré ses talents oratoires, il lui sera difficile de vaincre le scepticisme de la population. Au Capitole, le compte des votes n'est pas plus rassurant. Au Sénat, traditionnellement la chambre la plus modérée, et que les Démocrates contrôlent, les chances sont de 50-50, peut-être un peu meilleures, d'obtenir un vote favorable. Mais la Chambres des Députés, c'est une autre paire de manches.
D'abord il y a une majorité républicaine, opposée par principe à tout ce que fait le Président. Mais en plus les partis politiques sont divisés sur la question, et on voit les Démocrates libéraux et pacifistes s'allier avec les Libertariens et les membres du Tea Party America-First républicains. Vendredi soir, selon le Washington Post, 224 sur les 433 membres de la Chambre étaient opposés à l'intervention militaire étatsunienne et à peine deux douzaines en sa faveur, en dépit des pressions de toutes sortes de la Maison Blanche. Et l'hostilité grandit plutôt qu'autre chose. On entend dire que la résolution ne sera même pas présentée au vote de façon à épargner non seulement Obama mais surtout l'institution présidentielle et la crédibilité des États-Unis dans les affaires mondiales.
On pourrait dire que le Président n'a qu'à faire comme il y a deux ans et ignorer purement et simplement l'opinion du Congrès. Mais comme il a lui-même lié sa décision à l'approbation du Congrès, il serait inconcevable, pour ne pas dire politiquement suicidaire, qu'il s'en passe. Une chambre dédaignée serait encore moins encline à faire des compromis au moment où on craint une nouvelle épreuve de force sur le budget, un éventuel blocage des institutions et le renouvellement du plafond de la dette fédérale. Une procédure de destitution n'est pas à exclure. Elle n'aboutirait certainement pas, mais elle serait très embarrassante et humiliante pour Obama.
Et, dernier point, mais non des moindres, le Pentagone lui-même est opposé à la guerre. Cela est ressorti de manière évidente du témoignage (ou plutôt de l'absence de témoignage) au Sénat, la semaine dernière, du premier soldat du pays, le général Martin Dempsey, président du comité des Chefs d'État-major. Et voilà la synthèse de ce que pensent des commandants en service, selon Robert Scales, un général à la retraite bien au fait de ce qui se passe dans l'armée. Les hauts gradés, a-t-il écrit dans le Post, étaient "embarrassés d'être associés à l'amateurisme des efforts de l'Administration Obama pour mettre sur pieds un projet qui ait le moindre sens au niveau stratégique", et à une entreprise guerrière qui "viole tous les principes de la guerre". Ils étaient, ajoute-t-il, "indignés" à la perspective d'un acte de guerre destiné uniquement "à donner du crédit à la mention irréfléchie de 'lignes rouges'". Tout cela est sinistre. A la différence du Congrès, l'armée obéit aux ordres, même si elle n'est pas d'accord. Quoiqu'il arrive, en tous cas, la sort de la présidence se joue cette semaine.
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