El Hadj Abdourahmane Diouf, Juriste, spécialisé en Droit du commerce international, estime que la question du coton, qui mobilise un certain nombre de pays à l'Organisation mondiale du commerce, devrait être traitée par les pays africains concernés avec plus de détermination. Il ne cesse depuis un certain temps déjà, de recommander que ces derniers portent plainte contre les Etats-Unis d'Amérique auprès de l'Omc.
Rappelant que le gouvernement brésilien, qui a porté plainte sur cette question contre le gouvernement américain, a fini par avoir gain de cause et contraint les Américains à négocier une indemnisation significative, l'expert a souligné que les Africains avaient encore le loisir d'entamer une démarche similaire, avec l'espoir d'obtenir gain de cause. Il a expliqué ce que les Africains pouvaient en attendre : «La chance que nous avons, c'est que la Farm bill de 2002 (La loi agricole américaine, qui définit les subventions à l'Agriculture. Ndlr) est toujours en vigueur, parce qu'elle a été prorogée par la Farm bill de 2008.
Et tant que les Etats-Unis n'ont pas pris une autre loi agricole qui remet en cause les effets de cette première loi, les pays africains peuvent attaquer cette loi américaine devant l'organe de règlement des différends, en sachant que la plainte a un avantage très important par rapport à la négociation.
Quand vous portez plainte et que vous gagnez, on vous accorde le règlement du préjudice à partir de la date du début du préjudice. Si aujourd'hui les Africains gagnaient à l'Omc par une plainte, comme le Brésil, le calcul du préjudice démarrerait en septembre 2002, alors que si on trouve une solution dans la négociation, la solution ne sera opératoire qu'à partir de la date de signature de l'accord de négociation donc en 2013, 2014 ou 2015.»
El Hadj Abdourahmane Diouf, qui est le Directeur de l'Agence africaine pour le commerce et le développement (2ACD), une Ong basée à Genève, s'exprimait à Dakar, en septembre dernier, dans le cadre du Dialogue régional multi-acteurs organisé par Enda Cacid, en vue de préparer et de renforcer les capacités des négociateurs africains, en perspective de la conférence ministérielle de l'Omc à Bali, en Indonésie.
M. Diouf a commencé par rappelé que le dossier du coton à l'Omc n'est plus récent : «Nous y travaillons maintenant depuis une dizaine d'années à Genève et ailleurs». Il n'empêche, les connaissances accumulées par les Africains à ce niveau, n'ont pas permis au dossier de décoller au niveau de l'Omc. Et pourquoi. Pour Diouf, les raisons en sont simples. Les Africains n'ont jamais su mettre devant les véritables enjeux du produit qu'ils ont cherché à défendre face aux subventions des pays développés, en tête desquels les Américains.
«D'abord, nous sommes allés dire à l'Omc que nous autres Africains, qui avons subi un préjudice sur la question du coton, nous voulons une indemnisation. On nous a répondu que dans le droit de l'Omc, vous ne pouvez pas prétendre à une indemnisation si au préalable, vous n'avez pas porté l'affaire devant l'Organe de règlement des différends (Ord). Donc, l'indemnisation est une décision judiciaire prise par l'organe de règlement des différends. Et les pays africains avaient choisi la négociation, il n'y a que le Tchad et le Benin qui étaient tierce partie, et ça n'a pas donné les résultats escomptés. Demande d'indemnisation rejetée parce que nous n'avons pas porté plainte».
Face à cette rebuffade, les Africains ont changé leur fusil d'épaule, et tenté autre chose, toujours devant l'Omc : «Nous étions aussi à l'Omc pour dire que nous voulons que le coton soit considéré comme un produit spécial, parce que c'est un produit qui fait vivre des millions d'Africains. On nous avait répondu que le coton ne pouvait pas être un produit spécial- à titre logique d'ailleurs, parce qu'un produit spécial à l'Omc, par définition, c'est un produit défensif, un produit qui a des problèmes pour faire face à la concurrence extérieure, qui se replie sur lui-même qui est protégé. Alors que le coton africain était compétitif et voulait des parts de marché. Sur cette deuxième demande aussi, on nous a dit non.»
Pas découragés pour autant, «nos pays africains ont demandé que la question du coton, étant liée à la question du développement, soit traitée globalement aux questions de développement.
L'Omc en mars 2004 avait aussi organisé une réunion à Cotonou pour dire qu'on dissocie les questions de commerce des questions de développement, parce que l'Omc n'était compétente que sur les questions de commerce. Donc, troisième refus.» Néanmoins, tous les pays développés étaient d'accord pour ne pas désespérer les pays africains, en particuliers les plus pauvres du continent, qui se retrouvaient parties prenantes dans ces plaintes sur la question du coton.
Et El Hadj Diouf rappelle donc la procédure qui leur a été présentée comme consolation et pour les obliger à patienter.
«Qu'est qu'on nous avait donné en compensation à l'époque ? On nous a dit que l'on crée un comité spécial sur le coton où l'on va traiter ce dossier de façon rapide, spécifique et ambitieuse. C'était en juillet 2004. Vu ce que cela a donné, on ne pouvait pas avoir de résultats.
Pourquoi ? Parce que quand on crée un comité spécial pour y régler la question du coton de façon spécifique, rapide et ambitieuse, que dans un autre paragraphe on dit que la question du coton sera résolue dans le cadre global des questions agricoles, tant que vous n'avez pas de résultats dans les négociations sur l'agriculture, vous ne pouvez pas avoir des résultats sur les exceptions. C'est un raisonnement de juriste. Dix ans après, ça tient encore.
On n'a pas encore de résultat dans les négociations, on ne peut pas avoir de résultats sur le coton de façon spécifique. Ça pourra durer 100 ans, on n'aura pas de résultat. Et ça, on l'a dit depuis 2004.» Maintenant face à tous ces échecs, il restait la voie du contentieux, que les Africains ont toujours hésité à emprunter, contrairement à d'autres.
El Hadj Abdourahmane Diouf souligne : «Je rappelle que le Brésil lui a choisi cette voie en septembre 2002. Cela a pris du temps, mais le Brésil a quand même gagné. Et cela donne le droit au Brésil d'avoir une indemnisation de 143 millions de dollars qui lui sont versés par les Etats Unis.
Quand on en parlait à Istanbul, le directeur général de l'époque de l'Omc, Pascal Lamy nous avait rétorqué que le principe de l'indemnisation n'est pas le principe de résolution dans le droit de l'Omc. Il avait raison, mais il avait donné deux exceptions.
La première datait de 1947 et la deuxième comme par hasard, c'était l'exception du Brésil qui au terme d'une négociation avec les Etats Unis avait pu avoir les 143 millions de dollars. Donc cette exception peut être appliquée aux pays africains s'ils portent plainte, et c'est là ma proposition.»
A ceux des négociateurs africains qui auraient peur de franchir le pas, le spécialiste montre les avantages de la proposition qu'il préconise. Et il indique que la proposition ne restera pas toujours sur la table : «La proposition est encore en vigueur parce que les Etats Unis ont connu un retard dans la promulgation de leur loi agricole.
Donc, ce sont les lois de 2002 et de 2008 qui sont encore en vigueur et les pays africains devraient pouvoir attaquer en sachant qu'en portant plainte contre les Etats Unis, ce n'est pas un acte inamical qu'ils posent. C'est un acte de gestion de ses intérêts dans les conflits commerciaux.
J'ai l'habitude de rappeler que les Etats Unis et l'Union européenne sont les plus grands partenaires commerciaux du monde. Pourtant, si vous regardez les statistiques de règlement des différends à l'Omc, ils s'affrontent tous les jours.» Cette idée de plainte, El Hadj Abdourahmane Diouf la défend déjà depuis quelques années auprès des décideurs. Sans doute sera-t-elle prise enfin au sérieux quand ils estimeront n'avoir rien à perdre contre les Américains.
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