Le journaliste Cyril Bensimon a rejoint la rédaction du Monde depuis deux mois, après dix-huit années passées à RFI.
Que dire ? Qu'écrire dans d'aussi tragiques circonstances ? Qu'ils étaient des professionnels aguerris, chevronnés, qu'ils n'étaient pas des têtes brûlées ? Bien sûr, Ghislaine Dupont et Claude Verlon connaissaient leur métier et les risques qu'il peut imposer, mais leur mort nous renvoie avec une violence inouïe à une question simple : les journalistes doivent-ils abandonner les régions les plus dangereuses ? Répondre par l'affirmative serait condamner ces zones à l'oubli. Pas de témoin, pas de crime.
A Radio France Internationale, leur maison, leur famille, samedi soir tout le monde avait les yeux rougis, un mauvais goût dans la bouche, l'impression d'un cauchemar qui prendra fin au petit matin. Dix ans presque jour pour jour après l'assassinat de Jean Hélène à Abidjan, voilà que Ghislaine Dupont et Claude Verlon viennent de trouver la mort à une douzaine de kilomètres de Kidal, dans des circonstances qui demandent encore à être éclaircies. Le 21 octobre 2003, la mort portait le visage d'un policier ivoirien, le cœur chauffé à blanc par une propagande haineuse contre les journalistes. Le samedi 2 novembre 2013, les ravisseurs de Ghislaine Dupont et Claude Verlon étaient enturbannés. Dès que l'horrible rumeur a été confirmée, ministres, diplomates, hommes politiques et simples citoyens du continent africain ont aussitôt appelé la rédaction, envoyé des messages pour témoigner de leur tristesse et de leur colère.
"Gigi", comme tout le monde la surnommait au service Afrique de RFI, c'était une voix gouailleuse, une jeune fille de 57 ans au caractère bien trempé. Ghislaine Dupont était une journaliste passionnée, sans concession, têtue, capable desacrifier une bonne partie de ses soirées pour offrir aux auditeurs des informations qu'ils ne trouvaient nulle part ailleurs. "Son plus grand talent, c'était l'investigation. Elle ne lâchait rien. Ce n'est pas pour rien si je la surnommais 'Enquête et filature'", raconte Laurent Chaffard, l'un des rédacteurs en chef au service Afrique. Que ce soit dans les maquis d'Angola, sur les fronts poussiéreux de la frontière entre l'Ethiopie et l'Erythrée en passant par les pistes boueuses de la République démocratique du Congo, ses reportages étaient toujours acérés, pointus. L'impressionnisme, l'à-peu-près, étaient sa hantise.
L'Afrique, elle l'avait rencontrée dans son enfance pour la retrouver au début des années 1990, lorsqu'elle intègre la rédaction de RFI. Sa grande histoire fut la RDC."Son dossier" pendant plus dix ans. La qualité de son travail lui avait valu d'êtredéclarée persona non grata par les autorités congolaises mais aussi d'acquérirune incroyable notoriété dans les rues de Kinshasa, Goma ou Bukavu. A l'annonce de sa mort, l'homme politique malien Tiébilé Dramé a eu ces mots émouvants.
"J'ai perdu ma sœur. Elle est venue mourir, ici, chez moi, auMali, en Afrique où les morts ne meurent pas. Elle restera donc avec nous, dans le désert, au Sahel, dans la steppe, la savane. Le fleuve. Tu dormiras en paix du sommeil des justes."
Claude Verlon, lui, était un technicien hors pair. Capable de monter un studio en une demi-heure, d'assurer une liaison satellite dans les conditions les plus improbables, ce petit bonhomme vibrionnant de 55 ans n'avait souvent qu'une phrase à la bouche lorsqu'on le croisait dans les couloirs de RFI : "Alors, on part quand ?" On aurait maintenant envie de lui demander : "Alors, tu reviens quand ?"Comme on dit en Afrique, Ghislaine, Claude, que la terre vous soit légère.
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