Crée le 09-05-2012-06h10 | AFRIQUE REDACTION | REDACTEUR EN CHEF : ROGER BONGOS | SITE PANAFRICAIN |ACTUALITE NATIONALE, AFRICAINE ET INTERNATIONALE. Mis à jour le mecredi 09-05-2012 -12H40- AFRIQUE REDACTION PAR:LA TEMPETE DES TROPIQUES
J'admets que l'enthousiasme des commencements, tout ce qui suscitait l'espérance des citoyens et le lyrisme des commentateurs, est un peu retombé. Cela dit, rien n'est joué, tout reste à écrire. Le maitre mot, c'est le changement. Cela ne prend pas forcément la forme ni l'allure romantique dont rêvent certains occidentaux.
2. Justement, qu'y a-t-il de changé, aujourd'hui, reste-t-il quelque chose de l'élan initial du printemps arabe ?
Ce qui se confirme, c'est certaine effervescence. En Tunisie par exemple, la population a l'assurance- et aussi la fierté ! – d'avoir obtenu un gain irréversible : le départ du président Ben Ali. Cela représente pour tous un bénéfice. Total et indiscutable. Dans les dernières années de on règne, Ben Ali avait fait de la Tunisie un pays corrompu et avait détruit l'Etat de droit. Quelles que soient leurs inquiétudes, les Tunisiens dans leur écrasante majorité sont soulagés. Pour eux, il n'y a pas à revenir là-dessus. L'ancien régime, c'était quoi ? Ben Ali et sa femme, entourés d'un petit clan – une camarilla de profiteurs et d'affairistes ! Ils ont été chassés, l'affaire est close, le régime est mort. En Egypte, ce n'est pas du tout le cas. Le président Moubarak et son entourage immédiat sont partis, mais pour l'essentiel le régime persiste. Parce que dans ce pays, l'armée est, depuis 1952, la colonne vertébrale du régime. Ben Ali a fui, Moubarak a remis officiellement son pouvoir aux militaires. Ce n'est pas la même chose.
3. Le peuple égyptien a quand même obtenu son départ, ce qui semblait inconcevable.
Qu'on le veuille ou non, le printemps arabe a modifié à mon avis durablement la conscience des peuples arabes. Les chercheurs vont avoir du boulot pendant des années pour comprendre : quand cela a-t-il commencé ? En Algérie en octobre 1988 ? Au Yémen en 2006-2007 ? En Egypte en avril 2009 ? Ou bien est-ce la mort de ce jeune chômeur tunisien, Mohamed Bouazizi, en décembre 2010, qui a tout déclenché ? Il faut souligner que la jeunesse, en particulier, a agi d'une façon admirable. Les jeunes se sont obstinés à rester pacifiques, ils n'ont pas répondu aux provocations. Au début, le fait d'avoir ni programme ni dirigeant les a servis. C'est ensuite, au lendemain de la victoire, que cela devint un handicap. C'est vrai dans les deux pays. On peut comprendre la frustration ou le désenchantement d'une partie de la jeunesse : ils n'ont rien gagné dans les élections, ni en Egypte ni en Tunisie. La différence entre les deux pays, c'est qu'en Tunisie, la nouvelle classe politique, au-delà de ses dissensions, s'est assez vite mise d'accord sur la feuille de route : des élections, une assemblée constituante, un gouvernement provisoire, un président. On s'est donné un an pour revoter. Chacun a joué le jeu. La surprise, c'est qu'Ennahdha a atteint plus de 40%. On attendait moins de 30%… En Egypte, au contraire, pas de feuille de route, on improvise, dans le désordre : l'assemblée élue n'est pas constituante. Là aussi, il y a eu de surprises : personne en Egypte ne se doutait que les salaires obtiendraient près de 30%, et les Frères musulmans, un peu moins de 48% ! Que les élites n'aient rien vu venir, ce la montre…
4. …A quel point elles sont coupées du peuple ?
Vous savez, le paysan du coin, neuf fois sur dix, vous dira : «J'ai voté pour le docteur Untel qui a soigné ma femme et donné des médicaments à mes cousins. Ah ! Oui, tiens, c'est un salafiste». Ce n'est pas son problème. Les intellectuels peuvent bien écrire des articles fumant ou intervenir avec brio dans les colloques sur les dangers de l'islamisme, le peuple n'est pas concerné ; il n'est même pas au courant. Je crois qu'on ne peut réussir en politique que si on est présent, si on a un lien direct avec les gens.
5. Beaucoup d'observateurs occidentaux ont du mal à imaginer une démocratie à la musulmane. Que leur répondez-vous ?
Je leur répondrai : ce que vous pensez n'est pas le souci principal de l'immense majorité des musulmans. Le but principal de l'exercice n'est pas de vous satisfaire ! Ce qu'ont exprimé les Egyptiens il y a un peu plus d'un an place Tahrir, ce n'était pas une aspiration à la démocratie, au sens occidental. Ce qu'ils revendiquaient, c'était la justice, la dignité, un certain bien-être. Chacun s'est senti investi d'une parcelle de légitimité, de responsabilité, de civisme- et aussi de courage ! –pour exiger cela au nom de tout le pays. On ne peut pas réduire le concept de démocratie à des élections ! La démocratie n'est pas un événement, celui qui se déroule le jour de ces élections, justement, sous le regard paternellement approbateur d'un certain nombre d'observateurs européens. Les élections sont un processus. Pour qu'elles produisent tous les effets bénéfiques que vous en attendez, une lente évolution est nécessaire – c'est un processus qui implique de la justice, de la sécurité et aussi un certain degré d'éducation. Le souci des gens, c'est de manger à leur faim, de ne pas avoir peur d'être bousculé par le puissant du coin. L'objectif principal, c'est l'Etat de droit. Vous me direz que c'est la démocratie qui permet à l'Etat de droit de naître ou à tout le moins de se consolider. Sans doute. En tous les cas il est indispensable de créer un certain nombre de conditions minimales pour permettre à une élection d'avoir un sens.
Tirées de La revue
(*) Spécialiste de la résolution des conflits
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