De notre correspondante à Kinshasa
Service de réanimation de l'hôpital général de Kinshasa. A deux pas d'un homme et d'un bébé sous assistance respiratoire, Médard Tombo sommeille sous un drap blanc grisâtre. Il ouvre lentement les yeux et découvre faiblement son torse. Des pansements protègent en partie sa poitrine et son flanc gauche, qu'il avait lacérés avec un tesson de bouteille. Un autre pansement couvre, à droite de son nombril, une profonde coupure.
Retour jeudi, près de l'hôtel Memling, dans le centre de la capitale congolaise. Comme à l'accoutumée, Médard Tombo, 42 ans, vend à la sauvette des jus. Dans la zone, des policiers l'ont «tracassé» à plusieurs reprises. «Toujours les mêmes», affirme-t-il. «C'est devenu une habitude pour ces policiers de nous rançonner de façon régulière et constante», résume dans un filet de voix le père de quatre enfants. Mais ce jour-là, vers 12h00 locales, les choses ont mal tourné.
« Je sentais qu'on me vidait les poches »
Une patrouille de police est arrivée dans le cadre de l'opération d'assainissement «Kin propre», lancée en mai dernier par l'hôtel de ville. Cette opération se traduit entre autres par une chasse aux vendeurs ambulants, des destructions de marchés et de restaurants clandestins et des saisies de marchandises – souvent incendiées malgré les supplications des propriétaires, qui avaient pour certains été mis garde au préalable.
Médard Tombo n'a pas pu fuir la patrouille, et sa marchandise a été saisie. Auparavant, comme beaucoup, il s'était toujours résigné. Là, il a résisté. «Ils m'ont mis dans le camion et je sentais qu'on me vidait les poches… Je me suis dégagé, j'ai sauté du camion et je me suis mis en-dessous pour qu'il ne puisse pas avancer. Le commandant est venu, m'a dit de me lever, qu'on allait me rendre mes biens. Mais deux policiers n'étaient pas d'accord.»
« Que justice soit faite »
S'ensuit une bagarre entre le commerçant et les deux agents. «Je ne sais pas comment, mais les policiers m'ont blessé au ventre», raconte Médard Tombo. L'hôpital général indique que seul un objet «très tranchant» a pu causer une telle blessure. «Me sentant déjà mort, poursuit le vendeur, je me suis dit que j'allais continuer leur œuvre. J'ai cassé une bouteille pour me taillader, et me suicider. Je suis criblé de dettes parce que c'est la énième fois qu'on prend mes articles. J'étais désespéré. Les bénéfices devaient m'aider à scolariser deux enfants. »
Après s'être mutilé, Médard Tombo a perdu connaissance. Une photo de lui évanoui – à terre, le torse nu et tailladé, et sur laquelle le sang serpente – a circulé sur internet, et certains l'ont cru mort. Son décès démenti, restent la compassion, l'indignation, la colère. «C'est vraiment triste et pitoyable», «le pauvre, que justice soit faite», «hommes de justice, la balle est dans votre camp», ont écrit des internautes sur Facebook.
« Violation des droits de l'homme »
Sur ce même réseau social, un autre internaute a posté ce mesasge : «Peut-être le début du printemps bantou». Il fait allusion à la révolution qui a gagné le monde arabe quand le jeune commerçant tunisien Mohamed Bouazizi s'est immolé par le feu en décembre 2010, après qu'on lui a saisi les outils de travail. Comparaison identique en Une du quotidien Le Phare, qui titrait vendredi : « "Tunisie" manquée à Kinshasa »…
Les autorités ont condamné les dérapages de l'opération «Kin propre», mais des ONG déplorent l'impunité de leurs auteurs. Pour l'affaire Tombo, «j'avais demandé aux autorités d'arrêter ces policiers, parce qu'il faut les traduire en justice : c'est un cas de violation des droits de l'Homme, c'est un cas de mal-gouvernance, de brutalité et de violence contre la population», a expliqué le député d'opposition Franck Diongo, qui a rendu visite au patient.
Un rapport de l'ONU indique que le commissaire principal Nsiku, en charge de la patrouille de jeudi, a été mis en garde à vue pour «usurpation de pouvoir, tracasserie et extorsion». «Que l'Etat fasse ce qu'il peut faire, commente Médard Tombo, dont les soins sont pris en charge par la ville, et qui regrette sa tentative de suicide. La police est là pour garder les hommes et les biens. Mais maintenant, si c'est la police qui vous agresse...».
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