Crée le 29-06-2012-14h00 | AFRIQUE REDACTION | REDACTEUR EN CHEF : ROGER BONGOS | SITE PANAFRICAIN |ACTUALITE NATIONALE, AFRICAINE ET INTERNATIONALE. Mis à jour le vedredi 29-06-2012 - 14h10 PAR:
Clément Boursin Responsable des programmes Afrique à l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT-France)
Il y a un mois, le 31 mai 2012, le gouvernement français affirmait par la voix de sa ministre des Sports qu'aucun membre du gouvernement français ne se rendrait en Ukraine à l'occasion de l'Euro 2012 afin de protester contre le sort de l'opposante Ioulia Timochenko. Cette prise de position de la France au regard de la situation des droits de l'homme en Ukraine a-t-elle pénalisé l'UEFA et la compétition de football ? Non. Mais ce boycott marque un symbole fort de la nouvelle présidence française : il ne peut y avoir d'indifférence vis-à-vis des régimes autoritaires, quel que soit l'événement, rencontre sportive ou sommet international que ces pays accueillent sur leurs terres.
Le prochain sommet de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) doit se tenir en octobre prochain à Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC). Or, le mépris affiché par le gouvernement du président Joseph Kabila pour les droits de l'homme et les valeurs démocratiques frise depuis des années l'indécence. Fraudes et irrégularités électorales, violences politique en pagaille et impunité généralisée... Dans ce contexte, quel message adresserait le président Hollande à l'opinion publique congolaise et mondiale en répondant positivement à l'invitation du président Joseph Kabila ?
Poser cette question publiquement, en tant qu'ONG française de défense des droits de l'homme, ce n'est ni une forme d'ingérence dans les affaires congolaises, ni une leçon de morale déplacée. Il s'agit seulement de ne pas être indifférent à la situation politique et sociale en RDC et de rappeler au président Hollande les principes de bonne gouvernance et de démocratie définis par le candidat, principes réaffirmés lors de sa rencontre avec le président en exercice de l'Union africaine et du Bénin, Thomas Boni Yayi, le 29 mai dernier.
En 2000, la RDC, comme les autres États francophones signataires de la Déclaration de Bamako, s'est engagée pour la tenue d'élections libres, fiables et transparentes, pour une vie politique apaisée, pour le respect des droits de l'homme et la consolidation de l'état de droit. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Quid d'abord des élections libres, fiables et transparentes ? Les élections présidentielles du 28 novembre 2011, qui ont permis le maintien au pouvoir du président Joseph Kabila, ont été entachées "de nombreuses irrégularités et fraudes" d'après la Mission d'observation électorale de l'Union européenne (MOEUE). Bourrages d'urnes, manque de transparence, violences politiques... Le rapport final de cette mission est sans ambiguïté pour le régime en place : "les résultats publiés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ne sont pas crédibles". L'OIF, qui a également observé ces élections, a sûrement fait les mêmes constatations. Elle a toutefois diplomatiquement évité de rendre public son rapport... Une forme d'aveu ?
Quant à l'apaisement de la vie politique et le respect des droits de l'homme, c'est peu dire que les congolais peinent à en voir les prémices... Durant la période électorale, les forces de défense et de sécurité ont commis des exactions sur les sympathisants supposés ou réels de l'opposant Etienne Tshisekedi. Selon les Nations unies, dans la seule ville de Kinshasa, au moins 33 personnes ont été assassinées par balles par des membres des forces de défense et de sécurité et 83 autres personnes blessées entre le 26 novembre et le 25 décembre 2011. La plupart de ces exactions impliquent la Garde républicaine (GR) et l'Agence nationale de renseignements (ANR), deux forces liées à la présidence de la République. Confronté à ces informations, le gouvernement congolais s'est engagé auprès des Nations unies à mener des enquêtes judiciaires. On peut toutefois craindre que cet engagement n'ait pas plus de valeur que ceux pris à la suite d'opérations militaires à Kinshasa et dans le Bas-Congo en août 2006, février-mars 2007 et, mars 2008 au cours desquelles 500 personnes avaient été tuées et pour lesquelles aucun membre des forces de défense et de sécurité n'a jamais été inquiété.
Il y a par ailleurs fort à parier que l'opposition politique tentera de se mobiliser en nombre en octobre lors du sommet de l'OIF. Leurs droits de manifester, de se rassembler et de s'exprimer seront-ils respectés ? Ou seront-ils réprimés à nouveau ?
Enfin, en ce qui concerne la consolidation de l'État de droit, un long chemin reste à parcourir. Le pillage des ressources naturelles de la RDC n'est pas le seul fait des groupes armés dans l'Est du pays... Selon Global Witness, depuis 2010, des compagnies offshores associées à Dan Gertler, homme d'affaires et ami du Président congolais Joseph Kabila, ont secrètement acheté à l'État des parts dans plusieurs mines, à un coût très inférieur aux estimations. Les mines ont ensuite été vendues sans faire l'objet d'un processus d'appel d'offres ouvert et les compagnies ont réalisé un bénéfice colossal. Selon Eric Joyce, parlementaire britannique, 5,5 milliards de dollars (4,2 milliards d'euros) aurait ainsi été détournés ces dernières années par le régime en place dans le cadre de cessions d'actifs miniers. Plus récemment, des rumeurs font déjà état de la mauvaise gestion par les autorités congolaises de la somme allouée à la préparation du sommet de l'OIF.
Comptes tenus de tous ces éléments, lourds et persistants, la tenue du Sommet de l'OIF à Kinshasa est un véritable pied de nez du régime Kabila à cette instance et à ses États membres. C'est aussi l'occasion rêvée pour Joseph Kabila et son gouvernement de bénéficier enfin d'une légitimité internationale. En décembre 2011, sa cérémonie d'investiture avait été boudée par les dirigeants du monde entier hormis l'illustre Robert Mugabe...
Ne soyons pas naïfs ! La présence de dirigeants étrangers en octobre sera évidemment perçue par la population comme un soutien au régime en place. Plus généralement, la participation au plus haut niveau du gouvernement français à ce sommet sera comprise comme un signal de mansuétude à l'endroit des régimes autoritaires en Afrique. L'ayant bien compris, le premier ministre belge et chef du gouvernement, Elio di Rupo, a déjà annoncé qu'il ne se rendrait pas à Kinshasa.
Pour la France, il ne s'agit pas pour autant de promouvoir une politique de la chaise vide au sein de l'OIF... Le gouvernement peut dès à présent se mobiliser publiquement avec ses partenaires afin que tous les membres de l'organisation en respectent les règles fondamentales.
Le HuffPost
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